En décembre 1941, les mots ne pesaient pas très lourd et l’ordre dans lesquels on les disait, encore moins. Ainsi mon père et mon grand-père étaient apatrides mais juifs. Moi, j’étais française et juive. Si ma mère avait manqué de courage, je serais aujourd’hui : française-baptisée catholique-de confession juive…oui, ce sont-là des mots mais je trouve que l’on ne leur donne pas le sens qu’ils méritent. Si j’avais eu des enfants, ils auraient été Français juifs et non Juifs français. Ils auraient appris la Marseillaise et pleuré en écoutant « yiddish mamme ». Ils auraient applaudi l’équipe de foot en 1998 et soutenu les basketteurs israéliens. Oui, des Français juifs qui aiment les frites et les cornichons polonais, le camembert et la carpe farcie, qui frémissent quand Israël se bat, qui protestent contre tous ces « ismes » qui ne respectent rien. Juifs, musulmans, chrétiens…ces mots-là sont nés du Livre et ne peuvent trouver place que dans notre cœur, dans notre façon de vivre et dans le respect que nous devons aux autres.
Jeune, je ne m’intéressais guère qu’à la politique et je ne parlais jamais de mes origines. Mon judaïsme ? c’était la cuisine de ma grand-mère, les chansons yiddish, Singer, Aleikhem et la guerre, dont ma mère parlait chaque jour. Pour Kippour, nous mangions du jambon et du fromage et tous les matins des huit jours de Pessah , un croissant. Ma grand-mère en voulait à Dieu et, en ne respectant rien, elle espérait le punir. Quand elle m’a quittée, en mars 1964, tous ces souvenirs à elle m’ont agressée…la Pologne, les religieux, les pogroms, mon grand-père fusillé – un juif apatride – mon père brulé un juif apatride – mon oncle torturé – un Français juif – et moi, petite fille en sabots qui n’aimait plus que les animaux…une petite Française juive.
Des prières jamais apprises ont franchi mes lèvres : « Yisgadal végiskadach cheme robo… » Oui, ce Kaddish qu’elle refusait d’entendre, je le chantais, moi pour la première fois. Nous étions le 20 mars 1964 et je retrouvais enfin toutes mes racines. Bien des années plus tard, je suis allée à Auschwitz car je n’avais jamais prié près des cendres de mon père. J’étais au Mont Valérien quand Monsieur Badinter a inauguré le monument des fusillés. J’ai accepté de parler de ma Shoah dans quelques écoles. Je suis allée à Yad Vashem, à Prague, à Berlin, à Oradour, à Cracovie. Là, où des Juifs allemands, polonais, français, roumains, hongrois…ont été piétinés, j’ai déposé la force de mon judaïsme. Je prie. Je parle à tous ces Juifs dont on a brulé les corps mais qui continuent à marcher sur les routes du monde, parce que leur âme est indestructible. Chema Israël Adonaï… |
4 commentaires
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Quels mots mettre sur tant d’émotions ?……
Je vous embrasse de toute mon âme
Comme tu le sais ,je ne suis pas juive .Tes mots me touchent au plus profond de moi même.j’ai épousé un français juif ,fils de déporté ,brulé lui aussi a Auschwwitz.Chaque année a Bagneux je regarde en passant dans le carré juif tout ces êtres toujours présents dans notre souvenir.Jt’embrasse très fort.
j’ai découvert si tard mes origines…je découvre un monde, auquel j’appartiens…
je vous embrasse
tes mots me font pleurer….
merci de les avoir écrits…
je me souviens du kaddish chez Sophie…
je t’embrasse